mardi 26 avril 2011

Une dent contre toi.

La lumière des hologrammes dansait sur la surface de la lame magique. Lyran retourna le katana pour voir la longue veine d'orichalque qui le parcourait. En astral, une lueur rouge sombre sourdait de l'épée, celle du métal chauffé à blanc, et l'alliage magique brillait d'un éclat bleuté.
La porte du salon de thé coulissa, révélant à Lyran son hôtesse et ses clients. Elle se leva et s'inclina tandis que trois hommes japonais, aux visages fermés et aux costumes sombres, pénétraient dans la piece, foulant les tatamis de leurs coûteuses chaussettes en soie avant de s'y asseoir. L'un d'eux tenait une mallette en cuir.
Lyran attendit la fin des traditionnelles et incontournables salutations pour offrir la lame côté poignée à son employeur, mais c'est l'homme à lunettes à sa gauche qui s'en saisit. Bien, il devait s'agir du maître épéiste. Le spécialiste examina l'anatomie et la solidité du katana avec un soin extrême.

Satisfait, il le confia à l'homme de l'autre côté de la table. Ce Yakuza était le plus jeune du groupe, et Lyran l'avait déjà identifié comme étant le mage. Ses yeux examinèrent longuement la longue veine d'orichalque avant de se fermer complètement. Ceci fait, le mage tendit la lame à l'oyabun.
Shotozumi prit le katana qu'il caressa d'un regard critique. D'un ongle particulierement long, il suivit les gravures sur une des faces, puis fit pivoter la lame d'un geste souple rendu naturel à force d'entraînement.

"Auriez-vous la gentillesse de pardonner le vieil homme et de me rappeler les termes de notre contrat?"

Lyran déglutit. "Euh... Honorable Shotozumi-sama, vous avez commandé la fabrication d'une lame enchantée selon une antique formule fournie par vos soins, en échange de un virgule cinq millions de nuyens en monnaie mitsuhama."

"En effet. Une longue épée de style shihi-zume-gitae forgée avec un alliage particulier, dotée d'une poignée sculptée dans une dent de dragon, décorée sur une face par des chrysanthèmes en fleurs." Il marqua ensuite une pause.

"Mais si mes souvenirs sont exacts, les instructions précisaient qu'un poème devait être inscrit sur l'autre face par le forgeron, afin de définir le pouvoir et l'esprit de l'épée. A la place, je vois une lame vierge. Expliquez vous je vous prie."

Lyran s'humecta les lèvres. "Vous vous souviendrez, tres honorable seigneur, de mes rapports passés dans lesquels je faisais état de difficultés significatives pour trouver une forgeron suffisamment habile pour forger cette lame conformément à l'ancien style. Pour être exact, ceci s'est révélé presque impossible : nul n'aurait pris le risque de votre courroux. Aucun forgeron vivant n'aurait su forger cette lame... J'ai donc dû m'adresser à un forgeron décédé."

Le regard de shotozumi resta impénétrable. "Poursuivez."

"Il y a six ans de cela, Hiro Gassan, un descendant des maîtres forgerons impériaux, organisa la mise en scène de sa propre mort pour couvrir son extraction. J'ai réussi à obtenir ses services pour forger la lame. Gassan a bien inscrit le poème, mais il l'a fait sur la partie basse de la lame, qui s'enfonce sous la poignée."

Shotozumi sembla satisfait. "C'est parfait dans ce cas. L'enchantement semble intact. Votre récompense." Lyran accepta la mallette remplie de liquide avec soulagement puis s'éclipsa. Elle avait presque atteint sa moto lorsque les flammes du souffle d'un dragon la détruisirent. Elle leva les yeux vers le dragon oriental qui réduisait en cendre le salon de thé. Qui pouvait imaginer que le lézard se vexerait autant pour une simple petite dent?

La magie des ombres. P72

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